Il y a 10 ans, Rémi Fraisse mourait à Sivens, à 21 ans.
Nos premières pensées vont à sa famille et à ses proches.
Ce samedi 25 octobre 2014, jour de grand soleil, était une journée de mobilisation contre un projet de barrage trop grand, pensé pour l’intérêt de quelques-uns au détriment d’un site naturel remarquable. Et pourtant un projet défendu par l’État, qui n’a pas hésité à recourir à la violence pour faire taire les oppositions.
Et puis le dimanche 26 octobre 2014 au matin, ce message laconique : « un corps a été retrouvé ». Ce corps qui n’avait pas de nom était celui de Rémi Fraisse. Etudiant botaniste, la renoncule était l’une de ses plantes préférées. Il était adhérent à France Nature Environnement et avait fait son sujet d’étude de la protection des plantes rares menacées par l’hyper-urbanisation dans la région toulousaine. Rémi Fraisse est mort d’une grenade offensive lancée dans son dos par un gendarme dans l’exercice de ses fonctions.
Depuis, le projet de barrage de Sivens a été déclaré ne pas être d’utilité publique. Rémi Fraisse est mort d’avoir défendu une cause d’intérêt général.
Sivens est devenu l’un des symboles de l’urgence d’une nouvelle démocratie environnementale car aujourd’hui, ni l’Etat ni le marché ne peuvent décider seuls de cet intérêt général. Se réapproprier les biens communs, élargir la démocratie pour cela est devenu une priorité.
Ce drame a marqué un tournant en exposant les limites des processus de consultation publique, notamment en matière de grands projets d’infrastructures. Il a également souligné les tensions entre les aspirations environnementales citoyennes et les décisions des pouvoirs publics.
Le drame de Sivens a mis en lumière les carences des dispositifs participatifs et le manque d’écoute des citoyen.ne.s concerné.e.s par des projets ayant un impact majeur sur leur environnement. Malgré les outils existants (enquêtes publiques, débats publics), plusieurs insuffisances ont été relevées : le déficit de transparence, le manque de véritable co-construction, le déséquilibre des forces entre promoteurs de projets, pouvoirs publics et simples citoyen.ne.s, la répression des mouvements sociaux écologistes, ce qui questionne l’espace démocratique offert aux citoyen.ne.s.
C’est pourquoi il est temps d’engager une refonte profonde de la démocratie environnementale.
Voici quelques propositions en ce sens :
1) Renforcer les outils de participation citoyenne :
- Améliorer la transparence : Garantir un accès plus large et plus rapide à l’information concernant les projets, avec des plateformes accessibles pour les citoyens, pour éviter tout sentiment de décision « à huis clos ».
- Véritable co-construction : Mettre en place des consultations plus inclusives dès le début des projets, avec la possibilité pour les citoyens de co-construire les solutions, et non de simplement donner un avis a posteriori.
2) Inclusion systématique des impacts environnementaux et sociaux :
- Études d’impact indépendantes : Créer des organismes d’évaluation des impacts environnementaux véritablement indépendants des pouvoirs publics et des promoteurs.
- Prise en compte des alternatives : Chaque projet doit faire l’objet d’une évaluation sérieuse des alternatives écologiques et sociales, avec un suivi public des raisons des choix finaux.
3) Reconnaissance des droits de la nature
- En s’inspirant de mouvements internationaux, les écologistes proposent de reconnaître des droits spécifiques à la nature dans la législation française, renforçant ainsi la protection des écosystèmes contre des projets destructeurs.
4) Mieux réguler les projets à impact environnemental :
- Moratoire sur certains grands projets : Proposer un moratoire sur les grands projets qui entraînent une destruction massive de la biodiversité ou des écosystèmes sensibles, comme les zones humides.
- Renforcement de la justice environnementale : Renforcer les moyens des tribunaux spécialisés pour traiter plus rapidement et plus équitablement les contentieux environnementaux.
5) Décentralisation des décisions environnementales :
- Promouvoir une décentralisation des décisions vers les collectivités locales, qui sont souvent plus en phase avec les besoins et aspirations écologiques des territoires. Cela renforcerait la proximité démocratique et l’adaptation des politiques publiques aux réalités locales.
Dix ans après Sivens, la démocratie environnementale est en pleine mutation, mais il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux attentes citoyennes. Il est temps de passer d’une démocratie de consultation à une démocratie de co-construction, où les citoyen.ne.s jouent un rôle actif dès la conception des projets. Cela passe par une plus grande transparence, une meilleure prise en compte des alternatives écologiques, et un renforcement des droits de la nature et des citoyen.ne.s dans les processus décisionnels.
Alors qu’aujourd’hui, d’autres projets tels que celui de l’autoroute A69 Toulouse-Castres font l’objet de recours juridiques, d’une forte mobilisation citoyenne et de scientifiques contre ce projet, allons-nous tirer les leçons de notre funeste histoire ?
En attendant, pour la mémoire de Rémi Fraisse, les mots de Paul Eluard nous invitent à poursuivre son juste combat : « Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure, tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre, tu rêvais d’être libre et je te continue ».