Alors que la loi Immigration récemment adoptée par la majorité présidentielle bafoue les valeurs fondamentales de la France en reprenant les idées de l’extrême droite, il est bon de se souvenir de l’apport de l’immigration, de ces parcours migratoires qui font la richesse de notre histoire nationale comme locale.
Le 26 janvier 1939, la prise de Barcelone provoque la fuite de centaines de milliers de républicains espagnols sur les routes de l’exil. Après trois années d’une terrible guerre, sonne la Retirada (« retraite ») : entre le 28 janvier et le 5 février, 475 000 personnes franchissent la frontière franco-espagnole. Les autorités françaises sont débordées et décident de regrouper les réfugiés dans des centres d’hébergement, les hommes en âge de porter les armes sont pour leur part dirigés vers des camps de concentration.
Entre septembre de cette année-là et mai 1940, Toulouse vit déferler quelque 100 000 républicains espagnols exilés qui, par-delà les Pyrénées, trouvèrent là un nouveau foyer et une base d’appui pour combattre le franquisme qui s’était imposé en Espagne ; la ville rose devient un centre majeur d’embauche pour les réfugiés espagnols. Ils sont affectés à la Cartoucherie, à la Société nationale de construction aéronautique du Midi ou encore à la Poudrerie nationale de Toulouse. Quelques mois plus tard, la main-d’œuvre agricole est puisée dans les camps. Dans la France de Vichy, nombre d’Espagnols rejoignent les rangs de la Résistance. À Toulouse, ils sont omniprésents dans les combats qui préparent la Libération.
C’est après sa libération, le 19 août 1944, que Toulouse est réellement devenue la “capitale de l’exil républicain espagnol” et que l’activité politique et militante s’y est intensifiée, investissant peu à peu tous les lieux de la ville. Une promenade au fil des rues, où subsistent les immeubles qui abritaient les divers mouvements de l’exil, offre une plongée dans la mémoire de la ville.
Toulouse est incontestablement la ville de France la plus fortement marquée par l’influence espagnole. Telle « l’Espagne en toi qui pousse un peu sa corne » comme le chantait Claude Nougaro, Toulouse est devenue une petite Espagne où des civils, des militants politiques et des militaires s’installèrent pour organiser la résistance antifranquiste depuis leur exil. Ils furent si nombreux qu’aujourd’hui, 10 % de la population toulousaine est d’origine espagnole et que le castillan est la deuxième langue la plus parlée dans la ville.
Pour les 80 ans de la Retirada, le nombre de manifestations liées à cet événement à Toulouse, et plus largement en Occitanie, témoigne d’une effervescence mémorielle inédite. Congrès et rassemblements contre Franco se sont tenus dans la Ville rose pendant des décennies. Lors de ces événements, les militants de tous bords se réunissent sous l’égide du Comité toulousain pour l’Espagne. La ville bouillonne aussi d’une intense activité culturelle liée à l’Espagne : troupes de théâtre espagnoles, expositions d’artistes en exil, librairies hispaniques.
Lors du Conseil municipal du 30 juin 2023, au nom du groupe écologiste, j’ai porté et fait adopter un vœu visant à perpétuer le devoir de mémoire de la Retirada à Toulouse. Le Conseil Municipal a proposé la création d’une commission de réflexion et d’orientation en collaboration avec la Région Occitanie et le Département de la Haute-Garonne. La-dite commission permettant de réfléchir à la mise en place d’un itinéraire culturel et mémoriel de La Retirada entre l’Espagne et la France incluant l’expertise des associations et universitaires spécialistes. Espérons que le Maire veillera à donner une suite concrète à cette position unanime de notre conseil municipal.
85 ans après la Retirada, son devoir de mémoire à Toulouse nous permet de faire vivre la richesse de l’histoire de notre ville et de l’apport des parcours migratoires qui la constituent.